La Cocarde Étudiante, nouvelle citadelle de l’extrême-droite lyonnaise ?

Daphné Deschamps
18 min readJan 21, 2021

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La section lyonnaise du syndicat La Cocarde Étudiante n’existe que depuis quelques mois, mais elle entretient déjà des liens avec la plupart des groupuscules d’extrême droite de la ville. De Génération Identitaire à l’Action Française en passant par le Rassemblement National et les traditionalistes catholiques, plongée dans l’univers d’un groupe aux réseaux sulfureux qui maintient une façade lisse et respectable.

Une enquête de Daphné Deschamps et Carlos de Sousa

Début octobre 2020 : dans la nuit lyonnaise, un petit groupe de jeunes hommes s’active. Armés de brosses et de seaux de colle, ils placardent avec enthousiasme des affiches teintées de bleu, de blanc et de rouge sur un des murs de la rue du Professeur-Rollet, face à la Manufacture des Tabacs, qui abrite l’Université Lyon-III. Ce mur a accueilli beaucoup d’affiches politiques mais c’est la première fois qu’une affiche de la Cocarde y est collée. Le slogan affiché a le mérite d’être simple : « Ni gauchisme, ni libéralisme : rejoins la Cocarde. » Sur les photos du mouvement, des hommes masqués et floutés, aucun nom, ni mention. La Cocarde lyonnaise reste discrète sur ses origines et sur ses militant.es. Discrète certes, mais pas invisible : à force de recherches, nous avons retrouvé les membres de ce nouvel acteur du syndicalisme étudiant à Lyon, et mis à jour leurs connexions avec des groupuscules actifs d’extrême droite.

Pour tenter de comprendre l’émergence de ce mouvement à Lyon, il faut revenir aux origines nationales de la Cocarde Étudiante, en 2015. La droite se prépare à proposer un candidat à l’élection présidentielle, et Nicolas Sarkozy rêve d’être le challenger du président de l’époque, François Hollande. Mais de plus en plus de voix s’élèvent chez les souverainistes afin de s’unir face aux « européistes ». C’est dans cette volonté d’unifier les voix anti-euro que le 4 septembre 2015, un nouveau mouvement étudiant voit le jour : La Cocarde Étudiante.

Issu d’une scission avec le syndicat de droite UNI, ce « nouveau syndicat étudiant » veut unifier les jeunes souverainistes. Dans un article de La Croix, le président du mouvement, Maxime Duvauchelle affirme : « Nous sommes des gaullistes sociaux, nous ne sommes pas des ultra-libéraux. » Mais l’image véhiculée par ce mouvement est trompeuse. Dès le début, l’organisation cache mal ses proximités avec le Front National (RN aujourd’hui) : Kelly Betesh, responsable de la Cocarde Étudiante à l’université Paris-Descartes, avait publié sur les réseaux sociaux des photos de son réveillon 2014 passé avec Maxime Duvauchelle et… Florian Philippot, à l’époque numéro 2 du FN. De forts liens de base avec l’extrême droite, qui n’ont pas cessé depuis de se développer, entretenus par les cadres de ce syndicat.

La politique avec les poings

Luc Lahalle, président de la Cocarde depuis 2017, a été l’assistant parlementaire de Jordan Bardella, député européen pour le Rassemblement national. Il a été récemment remplacé par Pierre-Romain Thionnet, lui-même secrétaire général de la Cocarde. Plus à l’extrême droite électoraliste encore, on a vu apparaître en 2019 sur la liste de Renaud Camus — le théoricien du grand remplacement, condamné pour provocation à la haine contre les musulman.es en 2015 et poursuivi en 2020 pour injure raciale — Fiorina Lignier, jeune Gilet Jaune qui a posé en train de prier devant une croix gammée, et Clara Buhl, photographiée faisant un salut hitlérien. Toutes deux souvent vues en compagnie de la section amiénoise de la Cocarde Étudiante.

Fiorina Lignier à 18 ans, priant devant une croix gammée.

Et quand on sort de l’électoral, on trouve par exemple une photographie postée sur Instagram par Luc Lahalle en compagnie d’Aloys Vojinovic, un des leaders des Zouaves Paris. Ce groupuscule d’extrême droite radicale se revendique héritier du GUD — Groupe Union Défense, groupuscule violent d’extrême droite qui s’est auto-dissout en 2017 — et est habitué des rixes de rue, par exemple le soir de l’incendie de Notre-Dame, des ratonnades, notamment durant la coupe du monde de football en 2018, et des attaques de bar « de gauche », comme celle du Saint-Sauveur à Paris, en juin 2020, dont le procès devait se tenir début janvier mais a été renvoyé en novembre 2021. De plus, Vojinovic, tout comme le « chef» des Zouaves, Marc de Cacqueray, a été condamné en 2019 pour « entente en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Trois mois fermes sans mandat de dépôt pour Vojinovic, et six mois avec sursis pour Cacqueray. Ce dernier a quitté la France pour rejoindre les bataillons étrangers qui combattent l’armée azérie dans la guerre au Haut-Karabagh, en soutien à l’Arménie, pays chrétien, ce qui justifie son engagement. Un engagement qui pourrait lui coûter cher, puisque la lutte armée contre une nation étrangère est considérée comme du terrorisme par le droit français, et sévèrement punie. Il s’est cependant présenté au procès pour l’attaque du Saint Sauveur au TGI de Paris le 15 janvier.

À gauche, Aloys Vojinovic, “cadre” des Zouaves Paris. À droite, Luc Lahalle, président de la Cocarde Étudiante. (capture d’écran Instagram)

La Cocarde n’est pas en reste quand il s’agit de faire de la politique avec ses poings : ses deux plus grands « faits d’armes » sont parisiens. Le 10 mai 2018, lors de la vague d’occupations d’universités parisiennes contre l’instauration de Parcoursup, des étudiant.es de la Sorbonne ont dénoncé des attaques sur les campus occupés de Clignancourt et Malesherbes. Ils et elles ont rapporté des menaces de mort, de viol, et un passage à tabac par une dizaine de personnes qui a entraîné un passage aux urgences et des points de sutures ainsi que de multiples fractures au visage. Le groupe à l’origine de cette attaque était notamment composé de membres de sections parisiennes de la Cocarde et de l’Action Française. Six personnes ont été placées en garde à vue, avant d’être relâchées.

Photo de groupe postée sur les réseaux sociaux après l’attaque du campus Clignancourt. On y trouve notamment Hélène, membre parisienne de la Cocarde et de Némésis, Pierre-Romain Thionnet, secrétaire général de la Cocarde et assistant parlementaire de Jordan Bardella, et Tim Frey, responsable Île-de-France de la Cocarde (respectivement 3ème, 4ème et 5ème en partant de la gauche)

C’est deux ans plus tard, le 12 janvier 2020, qu’a lieu l’action violente la plus médiatisée de la Cocarde : le déblocage de l’université traditionnellement à droite Paris-II-Panthéon-Assas, avec bombes au poivre et intervention policière, comme le racontait Rémi Yang pour Streetpress. Entre ces deux événements, la Cocarde s’est fait remarquer sur des déblocages et des agressions supposées à Strasbourg en décembre 2019, ainsi qu’à Nanterre et à Tours en janvier 2020.

Un virage prononcé vers l’extrême droite

Ouvertement contre la PMA, la Cocarde s’était distinguée lors de la manifestation organisée à Paris par La Manif Pour Tous et Alliance Vita le 6 octobre 2019. Elle formait un des seuls cortèges structurés et rattachés à une organisation politique, outre le collectif organisateur « Marchons Enfants ». Derrière la banderole « les étudiants de France contre la PMA », on trouvait des « têtes » de la Cocarde, ainsi que de la Dissidence française, un mouvement néofasciste français, de l’Action française, des Zouaves Paris, mais aussi Maxime Brunerie, militant nationaliste connu principalement pour sa tentative d’assassinat de Jacques Chirac le 14 juillet 2002.

Derrière le souci d’une image rassembleuse et non-partisane, la Cocarde penche clairement vers la droite de la droite, voire l’extrême droite, sous l’impulsion de Luc Lahalle. Dans le programme affiché sur son site internet, elle propose de dépasser les questions qui animent ordinairement un syndicat étudiant. Son but non dissimulé est de mener une bataille culturelle au sein des universités françaises, décrites comme des « bastions de la pensée unique et de la déconstruction culturelle ».

À travers ces expressions, leur programme cible plus particulièrement les « gender studies », ou études de genre, mouvement intellectuel qui place au cœur de ses analyses le genre et ses représentations dans la société. La Cocarde rejette cette branche des sciences sociales, « une importation des États-Unis » . Elle se revendique aussi anti-mondialisation : « Partout sont battues en brèche les prophéties libérales d’un monde post-guerre froide où devait advenir la disparition des frontières et des particularismes. La perspective d’une vaste communion dans une “citoyenneté mondiale” abstraite et désincarnée s’éloigne de jour en jour. Partout les peuples, et notamment leur jeunesse, reprennent conscience de l’importance de leur histoire, de leur mémoire, de leur héritage, de leur identité. »

La Cocarde décline dans son programme 10 grands thèmes, de la nécessité de limiter les échanges avec les autres pays à la restauration de la souveraineté politique de la France, en passant par la préférence nationale et de « civilisation ». Sans oublier la promotion d’une identité française à préserver des migrations étrangères, contre « le changement de peuple » reprenant ainsi la thèse du « grand remplacement » défendue par le théoricien d’extrême droite Renaud Camus.

Dans l’air du temps, la Cocarde s’intéresse aussi à l’écologie, thème pourtant encore peu présent dans la rhétorique de la droite identitaire classique, mais très mobilisateur parmi les étudiant.es. Elle reprend entre autres l’idée d’une rupture radicale avec le modèle de la croissance illimitée et de la société de consommation. L’alternative proposée est celle d’une vie « sur la voie de la décroissance » et d’une « sobriété volontaire ». Et sur les réseaux sociaux, la Cocarde Étudiante fait la promotion d’auteurs controversés, comme le psychologue canadien Jordan Peterson, héraut des masculinistes en Amérique du Nord, et Enoch Powell, figure nationaliste et anti-immigration en Angleterre. Des « #VendrediLecture » qui n’ont promu pour le moment que des auteurs masculins.

Tout au long du confinement, la Cocarde a proposé à ses membres des débats et des visioconférences, afin de maintenir le mouvement actif. Au niveau national, c’était par exemple, le 5 décembre dernier, une présentation de l’Association pour le rétablissement du port d’arme citoyen (ARPAC). Et la section lyonnaise du mouvement n’est pas en reste : tous les invités de la Cocarde Lyon durant ce deuxième confinement sont d’anciens membres du Rassemblement National, comme l’ancien du bureau national du RN Jean Messiha, et Julien Rochedy, ancien président du FNJ (Front National de la Jeunesse). Difficile de prôner l’union de la droite avec une telle programmation. Le président de la Cocarde Lyon, Julien G., a une réponse à cela : «Il n’y a qu’eux qui viennent ! Mais on est susceptibles d’inviter d’autres personnes. »

Julien Rochedy (à gauche) et Julien G. (à droite), président de la Cocarde Lyon (image postée sur le compte Twitter de la section lyonnaise de la Cocarde)

Un « œcuménisme politique »

La genèse de la Cocarde Lyon est récente : après une première tentative d’implantation dans la capitale des Gaules qui avait vite échoué quelques années plus tôt, une section lyonnaise a été relancée en mars 2020, quelques jours avant la crise sanitaire, par Julien G. Étudiant dans une école privée spécialisée en relations internationales, ce Héraultais de 23 ans arrive à Lyon en 2017 pour une licence de droit à l’université Lyon-III. Un choix mûrement réfléchi : « Lyon-III était une fac renommée à l’époque. » Mais il va vite déchanter. Lyon-III n’est plus le fief de la droite qu’elle a pu être durant les années 1990 et 2000, surtout depuis le rapport Rousso, commandé en 2001 par Jack Lang et la commission sur le racisme et le négationnisme à l’université Jean Moulin-Lyon-III. Ce rapport, livré en 2004, avait conduit à ce qui avait été appelé à l’époque « un grand nettoyage » de l’université Lyon-III. Ce sentiment général se manifeste également dans les contenus des cours, selon Julien G. : « Ce qui m’a surpris, c’est à quel point il y avait un agenda politique à la faculté, notamment au collège de droit. Je suis parti au bout de deux semaines, parce que les sujets étaient trop orientés à gauche. »

D’après lui, la baisse de niveau qu’il a constatée à l’université a conduit directement à la création de sa section, la Cocarde Lyon : « J’ai décidé de partir étudier les relations internationales dans une école privée (dont il nous a demandé de ne pas citer le nom, ndlr), parce que je trouvais que la faculté baissait en qualité au fur et à mesure qu’elle se gauchisait. La fac a commencé à adopter l’écriture inclusive, etc…» L’engagement politique de Julien G. n’a pas commencé à la création de la section lyonnaise de la Cocarde : « J’ai passé six ans chez LR. » Mais déçu de la tournure du parti, il se met en retrait du mouvement en 2019 : « J’estimais que les membres de LR dénonçaient des faits dont ils étaient eux-mêmes responsables. Je l’ai vu en interne, parce que j’ai participé à la primaire de la droite et aux élections européennes. J’étais un militant de longue haleine, j’ai même été responsable de secteur. Je ne me retrouve dans aucun parti politique français parce que j’estime que soit ils sont responsables des dérives actuelles, soit ce sont des incapables. » La suite logique du parcours de Julien G. est son engagement au sein de la Cocarde Lyon, dont le but affiché est de rassembler toutes les sensibilités de droite.

Un des points les plus épineux et les moins ouvertement discutés est la composition du mouvement à Lyon. Son président présente sa section comme un « œcuménisme » des courants de la droite. La seule condition, selon lui, pour être membre de sa section, c’est « l’amour de la France ». Il procède à des entretiens préliminaires afin de connaître les motivations des futurs adhérents : « On apprend à les découvrir, puisqu’on a tenté de nous infiltrer plusieurs fois, ce qu’on trouvait dommage. Quand tu essaies d’infiltrer un mouvement de ce style, c’est que tu n’as pas envie de lui apporter quelque chose. Le but n’est pas de ficher les gens, mais de comprendre leurs motivations. » Se présentant comme le chef d’un syndicat qui respecte la loi et l’ordre républicain, Julien G. affirme ne pas savoir si son mouvement abrite des membres de groupuscules d’extrême droite, comme les royalistes de l’Action Française, ou Génération Identitaire : « De ce que je sais, non. Comme il pourrait y avoir des infiltrés, je ne peux pas en être sûr à 100%. Je ne peux pas être absolument certain que certaines personnes ne m’ont pas menti de A à Z. »

Scouts, identitaires et cathos tradis

Les autres membres de la Cocarde lyonnaise viennent d’horizons politiques variés, mais la ligne générale reste la même : une droite dure, très dure, extrême même. En remontant leur piste sur les réseaux sociaux, on trouve une galaxie politique bigarrée, et en contradiction avec les affirmations de son président. Et il y a du choix : identitaires, royalistes, ultra-catholiques, nationalistes…

Ainsi, on y trouve par exemple R., un scout d’Europe originaire de Savoie, qui revendique sa fidélité à Dieu et affiche une fleur de lys en bio Instagram. Il parle sur Facebook de « vraies messes — en latin — , pas de messes d’hérétiques », et de l’existence d’un génocide vendéen, thèse historique apparue dans les années 1980 et très largement contestée par les historien.nes. Il est aussi réserviste d’un bataillon de chasseurs alpins, et étudiant en science politique à Lyon-II.

Captures d’écran Instagram et Facebook
Capture d’écran Instagram

Dans un autre style, D., étudiant en marketing, partage sur Facebook des rassemblements organisés par Génération Identitaire, des articles sur une pseudo-théorie du genre, et des bandes dessinées antiféministes du dessinateur d’extrême droite Marsault. Et dans ses abonné.es sur Instagram, on trouve un panel choisi d’identitaires lyonnais, dont des boxeurs de l’Agogé, la salle de boxe de Génération identitaire liée au bar La Traboule, la « maison de l’identité lyonnaise ».

Quand on s’intéresse à la section lyonnaise de la Cocarde sur Twitter, outre le compte de Julien G., “@ JuCocardeLyon”, on arrive vite sur un autre compte en particulier : “@ EvropaNossa”, « Idéaliste, rêveur, Militant, graphiste “@ cocarde_lyon” », et une fleur de lys dans son nom. Suivi par Julien G. et de nombreux autres membres de la Cocarde Lyon que nous avons pu identifier, ce compte se dit sympathisant de l’Action Française, dont le podcast « Se former avec l’Action Française », est numéro 1 de ses écoutes de l’année sur Spotify, et se dispute parfois avec l’UNI au nom de la Cocarde Lyon. Il a également posté des photos indiquant sa présence en compagnie du reste de sa section au rassemblement 2020 pour la version catholique traditionaliste de la Fête des Lumières, Lugdunum Suum, organisée par la Traboule et Génération Identitaire tous les ans. On peut aussi y associer “@ SainteMelethril”, sa compagne, très religieuse, traditionaliste, et qui retweete notamment le compte de Némésis, un « collectif féministe identitaire ».

Captures d’écran Twitter

La sensibilité féminine de la Cocarde Lyon

Ce groupuscule 100% féminin, qui a fait sa première apparition publique à la marche « Nous Toutes » de novembre 2019, affiche un discours ouvertement xénophobe, arguant, sans aucun chiffre pour le justifier, que « les personnes qui agressent quotidiennement [les femmes] sont en grande majorité des non autochtones » (sic). Dans leur manifeste, elles disent vouloir « dénoncer l’impact dangereux de l’immigration de masse sur les femmes occidentales afin que ce sujet devienne un débat public, et promouvoir la civilisation européenne, non pas comme ayant réduit les femmes au rôle d’objet, mais comme le berceau de leur épanouissement. »

Si elles ne revendiquent pas d’appartenance à un parti ou à une organisation, elles restent très liées à d’autres groupes. Génération Identitaire, évidemment : des membres parisiennes de Némésis y adhèrent, et une des têtes d’affiche de GI sur les réseaux sociaux, Thaïs d’Escufon, est très amie avec des fondatrices de Némésis. Certaines membres du collectif identitaire font partie de l’Action Française. Et on les retrouve aussi au sein de la Cocarde parisienne : Hélène, une des membres les plus actives de Némésis, est membre de la Cocarde Sorbonne Paris-IV, et pose à visage découvert pour un portrait de son collectif dans L’Incorrect, « mensuel conservateur » proche de Marion Maréchal le Pen qui relaie bon nombre de groupes et d’organisations d’extrême droite.

Némésis est un collectif très parisien. Mais elles ont toutefois des velléités nationales : à Lyon, une section a été créée en novembre, et on y trouve notamment… S., membre de la Cocarde et étudiante en droit à l’Université catholique de Lyon. Elle y est accompagnée de nombreuses militantes très en vue de Génération Identitaire Lyon : des jeunes filles blondes qui s’affichent sur Instagram en train de coller des stickers GI dans le Vieux-Lyon pour « protéger leur peuple », entre deux posts à l’église ou en manifestation identitaire contre l’immigration. Elles s’appellent Lucie, Chloé ou Madeleine, et elles servent de vitrine à leur organisation.

Capture d’écran Instagram

Julien G. se vantait d’avoir une des sections les plus féminisées de la Cocarde : au vu de la croissance rapide de la section lyonnaise de Némésis, cette affirmation est crédible.

Les abonnements du compte Instagram de la section lyonnaise de Némésis ne cachent rien des relations entre ce collectif et le syndicat d’extrême droite : le collectif identitaire ne suit que 88 personnes, dont l’un des deux comptes de Julien G., qui est pourtant en privé, et celui qu’on peut considérer comme le numéro deux de la Cocarde lyonnaise, dont le compte est également en privé : Sinisha Milinov.

Ce numéro deux non-officiel, la section lyonnaise de la Cocarde Étudiante l’affiche absolument partout : sur le terrain en tractage à la sortie des universités, en collage la nuit dans le Vieux-Lyon, il prend la parole dans les amphithéâtres de Lyon-III à la rentrée de septembre pour présenter son syndicat naissant…

Et le confinement ne l’empêche pas de militer : depuis la fermeture des universités, il est actif sur le serveur Discord de son organisation, et y donne même des conférences sur le patriotisme — logique, puisqu’il revendique sur Twitter être « Français avant tout, l’Alsace dans le cœur, et Gone d’adoption » (sic). Mais ce n’est pas tout : dans ses biographies Facebook et Instagram, il indique être « en mode reybene », mot qui fait référence au nom de l’ancienne section lyonnaise du Bloc Identitaire, l’organisation « mère » de GI jusqu’en 2016, date à laquelle cette section jeune a pris son indépendence. Sa bannière Twitter est une photo d’une banderole de GI appelant à la « reconquête » , et il apparaît régulièrement au milieu d’autres membres de GI sur les réseaux sociaux, en tractage en juin 2020, mais aussi au premier rang pour la réouverture de la Traboule en septembre dernier.

Capture d’écran Twitter supprimée depuis. Sinisha Milinov (5ème en partant de la droite) pose en compagnie de militant.es lyonnais.es de Génération Identitaire lors d’un tractage en juin 2020.
Captures d’écran Twitter et Facebook

Présent sur tous les fronts, il a aussi été candidat aux élections municipales de 2020 à Villeurbanne, une ville de la banlieue populaire de Lyon, sur la liste du Rassemblement National. Pour remplir la liste ? Non, en position éligible : cinquième. Il n’a pas été élu puisque sa liste n’a obtenu que 7,63 % des suffrages. Mais cela questionne quand même sa relation avec le Rassemblement National, qui vient s’ajouter à son militantisme au sein de la Cocarde et de Génération Identitaire. Vu sa proximité sur les réseaux sociaux avec Julien G., difficile de croire ce dernier quand il nous affirmait qu’« à sa connaissance, aucun des membres de la Cocarde n’est membre d’organisations d’extrême droite comme l’Action Française ou Génération Identitaire, […] en tous cas pas dans le noyau dur du mouvement ».

Et si, selon nos informations, aucun.e des membres de la Cocarde Lyon n’est sorti.e du cadre légal au cours de son militantisme, ce n’est pas systématiquement le cas des autres membres des organisations et groupuscules dont certain.es font partie, et pour lesquels la Cocarde Lyon pourrait servir de portail de recrutement. Dernier exemple en date, trois anciens membres de Génération Identitaire ont été condamnés pour incitation à la haine raciale, provocation à commettre un acte terroriste raciste et violences le 15 décembre dernier, à la suite du documentaire de la chaîne Al-Jazeera « Generation Hate », qui infiltrait le bar de Génération Identitaire à Lille, la Citadelle. Et le mouvement Génération Identitaire dans son ensemble est parfois décrit comme « néofasciste », « nationaliste blanc » et « islamophobe ».

La Cocarde nous répond

Nous avons joint Julien G. à l’issue de notre enquête afin qu’il puisse répondre à nos découvertes. À la suite de cet entretien, il nous a demandé de ne pas indiquer son nom complet, alors qu’il n’y voyait auparavant pas d’inconvénient.

Sur sa relation avec Sinisha Milinov, il affirme le connaître et qu’il est bien membre de la Cocarde Lyon. Par ailleurs, il sait que Sinisha est un militant actif du RN et sait également qu’il était présent sur leur liste aux municipales de 2020 à Villeurbanne. Mais surprise : il n’était pas au courant que Sinisha était membre de Génération Identitaire. Il se défend : « Il ne s’est pas présenté comme ça à moi. Ça ne change rien, je ne vais pas le virer parce qu’il est membre de GI. Aux yeux du droit français, Génération Identitaire n’est pas une organisation interdite. »

Il confirme également ne pas savoir si d’autres membres du syndicat sont militants dans d’autres organisations politiques comme l’Action Française ou Génération Identitaire : « Ce n’est pas illégal, à ce que je sache. Je suis très attaché au droit. Si j’apprends que des mecs sont membres de GI, ou si des filles sont membres de Némésis, qu’est-ce que je peux faire ? Les radier ? Ça n’a pas de sens ! De quel droit je dirais à quelqu’un “Casse-toi” ? Si de leur côté, ils s’entendent bien avec tout le monde et qu’ils ne tiennent pas de propos qui sont de l’ordre de l’illégalité, c’est bon pour moi. La Cocarde n’est pas un bloc monolithique, chacun a le droit de penser ce qu’il veut. » Il dément également que le dénommé « @ Evropanossa » soit le graphiste de la Cocarde Lyon, malgré ce que ce dernier affirme sur Twitter : « Ce n’est pas notre graphiste à Lyon. Beaucoup de gens disent être de chez nous, ou de l’Action Française, ou de Génération Identitaire, ou même d’autres organisations. Moi, bizarrement, je ne les ai jamais rencontrés, et ils ne sont pas dans ma base de données. Ils peuvent dire n’importe quoi sur Internet en prétendant appartenir à notre mouvement. » Julien G. suit tout de même toujours « @ EvropaNossa », qui est devenu « @ HiraethNossa » sur Twitter au moment où nous écrivons ces lignes.

Sur les proximités avec le collectif Némésis à Lyon, il dément tout lien officiel : « Je sais qu’elles s’installent à Lyon, mais on n’a pas pris contact avec elles parce que leur mouvement est encore à l’état embryonnaire, et parce que ce n’est pas dans mes priorités. Notre priorité n’est pas de nous approcher d’autres mouvements politiques, puisque la Cocarde reste un mouvement indépendant. On n’essaie pas de créer des alliances, parce qu’on n’a pas les mêmes idéologies, ni les mêmes objectifs. » Il ne nie pas cependant le fait que certaines membres de son mouvement puissent être militantes au sein de Némésis mais selon lui « nos filles ne sont pas sur cette ligne-là ».

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du séminaire Enquête de l’École de Journalisme de Grenoble, sous la direction éditoriale de Raphaël Ruffier et Ariane Denoyel, et sera publiée dans Zoom, le magazine d’enquête de la spécialité Presse Écrite-Web de l’EJDG, à l’hiver 2021.

Direction de publication

Yassine Lakhnech, président de l’UGA

Sabine Saurugger, directrice de l’IEPG

Direction éditoriale

Raphaël Ruffier-Fossoul Ariane Denoyel

Direction de l’EJDG

Roselyne Ringoot

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Daphné Deschamps
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Written by Daphné Deschamps

Journaliste - extrêmes droites, féminismes, mouvements sociaux - @daphne_dsch